FLASH INFO : Revirement de jurisprudence sur les droits aux congés payés

Madame, Monsieur,

Les réseaux sociaux se sont fait l’écho de la récente remise en cause par la Cour de Cassation des dispositions légales en vigueur en matière d’acquisition des droits à congés payés pour les salariés, dont l’exécution du contrat de travail s’est trouvée suspendue en raison d’une maladie et d’un accident de travail comme d’un congé parental.

Nous avions présenté, lors de la matinée d’actualités sociales qui s’est tenue le 19 septembre dernier, les quatre arrêts qu’a rendu cette Haute Juridiction le 13 septembre 2023.
Aux termes de la présente note, nous souhaitons vous rappeler le contexte de ces décisions (I) avant de vous exposer les conséquences au sein de votre Entreprise (II) et les
évolutions prévisibles de la Loi (III).

 

I- LA PRESENTATION DE LA POSITION DES JURIDICTIONS

Aux termes de ses rapports annuels, la Cour de Cassation avait régulièrement recommandé à l’Etat Français de revoir la rédaction du Code du Travail afin que le principe de l’acquisition des congés payés pendant l’arrêt de travail d’origine non professionnel y soit inscrit.

En effet :
– La Directive Européenne 2003/88 du 4 novembre 2003 oblige les états membres à prendre les mesures nécessaires pour garantir au salarié un droit à congés payés d’au moins 4 semaines par an,
– La Cour de Justice de l’Union Européenne, en application de ce texte, avait confirmé l’incompatibilité du Code du Travail avec ces dispositions, depuis 2012,
indiquant que le droit à congés payés n’est pas impacté par l’absence du salarié liée à un arrêt de travail,
– Par deux décisions rendues en 2018 la même juridiction reconnaît l’application directe aux Etats européens de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne qui, dans son article 31.2, précise que : « Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés ». (CJUE, 6 nov. 2018, n° C-684/16, Max Planck ; CJUE, 6 nov. 2018, n° C-570/16, STADT WUPPERTAL),

En application de cette jurisprudence, le juge national pouvait décider de suivre le raisonnement suivant : « en cas d’impossibilité d’interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l’article 7 de la directive 2003/88 et l’article 31, § 2 de la Charte des Droits Fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée ». Au cours de cet été, les décisions des juridictions, saisies de questions relatives aux congés payés, se sont accumulées :

 

A- LA CONDAMNATION DE LA FRANCE PAR LA JURIDICTION
ADMINISTRATIVE

 

Le 17 juillet 2023, la Cour Administrative d’Appel de VERSAILLES a condamné la FRANCE à verser des dommages et intérêts pour indemniser le préjudice moral subi par trois
organisations syndicales au motif que le Code du Travail n’est pas conforme à la Directive précitée. Dès 2009, la Cour de Justice de l’Union Européenne avait condamné l’Allemagne en
considérant que la période de suspension du contrat de travail pour maladie d’origine non professionnelle s’analysait en du temps de travail effectif (CJUE, 20 janvier 2009, n°C-350/06
SCHULTZ-HOFF C. DEUTSCHE RENTENVERSICHERUNG BUND)

B- LES ARRETS DE LA COUR DE CASSATION DU 13 SEPTEMBRE 2023

 

Dans son communiqué publié, la Cour de Cassation indique qu’elle « met en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congés payés ».
En effet, selon le droit français :
– Un salarié atteint d’une maladie non professionnelle ou victime d’un accident de trajet n’acquiert pas de jours de congés payés pendant le temps de son arrêt de travail,
– L’indemnité compensatrice de congés payés est limitée à une seule année de suspension du contrat de travail en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
Or, selon le droit de l’Union Européenne :
– Lorsque le salarié ne peut pas travailler en raison de son état de santé, situation indépendante de sa volonté, son absence ne doit pas avoir d’impact sur le calcul de ses droits à congés payés,

– Un salarié victime d’un accident de travail peut bénéficier d’un droit à congés payés couvrant l’intégralité de son arrêt de travail. Dès lors, se basant sur la Charte des Droits Fondamentaux précitée, la Cour de Cassation a jugé que le salarié peut prétendre à des congés payés au titre de la période:
– De la maladie non professionnelle (Cass. soc., 13 sept. 2023, no 22-17.340 P + B + R),
– De l’accident du travail et de la maladie professionnelle au-delà d’une durée ininterrompue d’un an (Cass. soc., 13 sept. 2023, n° 22-17.638 P + B + R),
Concernant le congé parental, la Cour de Cassation décide que le salarié conserve les droits acquis avant son départ en congé parental. (Cass. soc., 13 sept. 2023, no 22-14.043 FP-B). Ainsi, sans acquérir de nouveaux droits durant la période de suspension de son contrat de travail, il pourra bénéficier à son retour de congé de la prise des congés précédemment acquis.

La Haute Juridiction confirme sa jurisprudence en matière de prescription triennale mais la complète :
– Le point départ de la demande du salarié débute à partir du moment où ce dernier a été mis en mesure de prendre ses congés payés,
– L’employeur doit désormais justifier avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congés. (Cass. Soc. 13 septembre 2023, n°22-10.529)

 

II- LES CONSEQUENCES AU SEIN DE VOTRE ENTREPRISE

 

Monsieur Jean-Guy HUGLO, Conseiller doyen à la Chambre Sociale de la Cour de Cassation indique que les dispositions légales sont écartées uniquement en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition des congés payés par un salarié dont l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause de maladie non professionnelle.
Ainsi, en pratique :
o Le salarié, dont le contrat est toujours en cours, ne peut prétendre à une indemnité mais simplement faire valoir son droit à prendre ses congés payés,
o Le salarié, dont le contrat de travail a été rompu, peut solliciter le rappel de l’indemnité de congés payés, sous réserve de respecter les règles de prescription.

Certaines Entreprises seront tentées d’attendre les demandes émanant des salariés sur ce sujet en considérant que le Code du Travail demeure en vigueur. Une telle posture pourrait s’entendre lorsque l’enjeu est identifié comme faible notamment en cas d’absences de courte durée ou de faible taux d’absentéisme dans l’Entreprise ou encore lorsque la Convention Collective appliquée prévoit déjà l’acquisition de congés payés aux salariés absents du fait d’un arrêt maladie. D’autres Entreprises décideront de retenir une démarche « proactive » en communiquant auprès des salariés, ou à tout le moins, des élus du Comité Social et Economique la portée des décisions précitées. En tout état de cause, l’application pratique de la position de cette juridiction supposera de retenir les étapes suivantes :

 

1) La mise du jour du logiciel de paie

Elle s’impose pour tenir compte de cette nouvelle position des juridictions et ceci dès le 13 septembre 2023.
En effet, l’outil devra prendre en compte l’absence maladie pour la comptabilisation des congés dès cette date.
Pour les Entreprises, dont la gestion de congés payés est externalisée à une Caisse de Congés Payés, nous ne disposons pas, à l’heure actuelle, de précisions sur le mode de gestion qui sera retenu.
Il apparait donc déterminant de programmer d’ores et déjà la répercussion de cette jurisprudence qui pourrait donner lieu à une facturation supplémentaire par cet organisme.

 

2) L’analyse des congés supplémentaires

Certaines Conventions Collectives prévoient des congés supplémentaires liés notamment à l’ancienneté du salarié. La prise en compte de l’absence, pour l’acquisition des droits à congés du salarié, pourrait s’étendre à ses droits complémentaires puisque les arrêts rendus ne limitent l’acquisition aux congés légaux.

 

3) Les salariés ayant quittés l’Entreprise

La jurisprudence a une portée rétroactive. Il est donc nécessaire de réaliser un audit du risque de contentieux avec les anciens salariés. En effet, ces derniers pourraient être tentés de réclamer d’éventuelles indemnités de congés payés, excepté ceux qui ont accepté leur solde de tout compte ou ont souscrit une transaction portant sur l’exécution de leur contrat de travail.

4) La réalisation des diligences par l’employeur

Nous vous rappelons qu’il est essentiel de vous aménager la preuve de vos actions à l’égard du personnel concernant la possibilité d’exercer effectivement le droit à congés.
Celle-ci résidera notamment dans le fait d’avoir informé le salarié sur la période de prise de congés deux mois avant son ouverture ou encore l’inscription sur le bulletin de paie des dates de congés payés ainsi que le montant de l’indemnité allouée à ce titre.

 

III- L’EVOLUTION DU CODE DU TRAVAIL

La mise à jour de ce texte est désormais inéluctable. Néanmoins, le Ministère du Travail envisagerait de transposer la Directive de 2003 au cours de l’année 2024 sans confirmer un calendrier.
Les solutions envisageables pour le législateur se résument comme suit :
• Une limitation à 15 mois du report des congés payés en cas d’arrêt maladie puisque cette solution est admise par la Cour de Justice de l’Union Européenne,
• Un plafonnement du droit à congés payés pendant les arrêts de travail à quatre semaines par an,
• L’attribution d’un plafond de jours pouvant être acquis si la période de référence est intégralement couverte par un congé maladie.

Nous ne manquerons pas de vous informer des prochaines évolutions.
Restant à votre disposition, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de nos salutations distinguées.

Cabinet AMALYS

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